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Jeux d'Ombres Lumière sur les jeux de rôles amateurs.
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Lefebvre Yann Lecteur
Inscrit le: 22 Déc 2003 Messages: 58 Localisation: paris (arcueil, 94110)
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Posté le: 05 Nov 2004 17:51 Sujet du message: Roman à épisodes: le journal de Carter |
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Journal de Craig Carter – 10 janvier 1900-
Il neige encore sur la butte Montmartre. Les ouvriers tardent à rentrer chez eux pour parachever l’immense œuvre du Sacré Cœur. J’ai croisé certains d’entre eux dans le quartier: aucun ne parlait français, pas même cette infâme gouaille des bas quartiers. Sans doute ne sont-ils pas pressés de regagner leurs tanières. La nuit tombe ; je m’attelle à mon journal. Pas d’avancée sur l’enquête aujourd’hui et pourtant, ce n’est pas la motivation qui me manque. J’ai lu quelques exemplaires du Détective et de Crimes et Passions avec leur lot d’affaires romancées, en finissant mon thé de Cochinchine (il faut en racheter dès demain !).
Après la revue de presse matinale, je suis parti voir le docteur Guilain pour récolter les examens d’indices: prise de tête philosophique assurée! J’ai formulé quelques hypothèses ce soir, puis cédant à la fatigue, j’ai repris la lecture de Carmilla ressuscitée. Il est grand temps que je dorme; la nuit porte conseil. Je ne sais pas si je laisse un monde meilleur mais l’hydre du Crime attendra bien demain pour être terrassée.
Note pour plus tard: je devrai peut-être écrire le récit de mes enquêtes pour gagner comme un romancier, ou un quelconque manuel à l’usage des détectives. _________________ Une envie de gothique à la sauce XIXème siècle?
CRIMES est pour vous au
http://heinrich-kemmler.freesurf.fr/crimes.html |
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Invité
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Posté le: 16 Nov 2004 7:22 Sujet du message: L’Angleterre victorienne |
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Journal de Craig Carter – 3 décembre 1899- mal du pays
Pourquoi ai-je quitter ma chère Angleterre pour aller m’enterrer chez ces pouilleux parisiens ? Moi qui ai cédé à leur discours sur la nécessaire coopération entre les polices européennes, les échanges de techniques, les nouveaux procédés, les fichiers communs et j’en passe… Ces rustres de voisins sont réfractaires à toute idée de raffinement, et j’ai dû épouser leurs manières de lourdauds pour me faire accepter. Ma visite de la galerie des machines m’a impressionné, mais que vaut ce monument parisien face à la toute beauté des voûtes du Crystal Palace ? Les effluves du centre de Londres sont comme les rosiers du Kent : douces, enivrantes, rafraîchissantes… Rien à voir avec les puanteurs des égouts français à ciel ouvert.
Et que dire de la magnificence des East Docks, l’embouchure de la Tamise sous le soleil couchant, le gai tintement des cloches portuaires qui annoncent le retour de quelque glorieux émissaire, de ces paquebots gigantesques surnommées les floating island ? Cet enivrant parfum que je retrouve dans les œufs brouillés de mon breakfast, dans l’odeur brute de mon thé cingalais… Le seul reliquat de mon dernier retour outre Manche que j’avais acquis dans les boutiques odoriférantes des marchands exotiques.
La cour des miracles qui s’assemble dans ce quartier, la nuit venue, m’indispose… Un policier anglais n’est pas de bon aloi dans ce territoire. L’Angleterre est la seule patrie qui m’ait donné une place alors que je venais de nulle part. J’ai appris le credo de notre nation : un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais…
Carter relut ses quelques lignes et se rendit compte de l’injustice de ses propos. Londres possédait aussi ses bouges, endroits mal famés, dépotoirs, maisons de débauche qui s’étendaient à la périphérie de la « vraie ville ». Les souvenirs du temps jadis où Craig avait du fréquenter les asiles de nuit lorsque sa mère, attendant la solde du paternel, n’avait plus de quoi assumer un loyer. Ces asiles lui faisaient forte impression : un vide sépulcral y régnait tandis que les pauvres hères qui y trouvaient refuge se muraient dans leur silence, perdus dans leur désenchantement, animés par les restes de leur appétit de vivre.
Sans doute était-il temps que je laisse derrière moi l’âcre fumet de la pauvreté crasseuse que je retrouvais à Londres lors de mes perquisitions banlieusardes, et elle, elle m’avait presque décidé à rester dans cette France en devenir, et pourtant, plus rien ne me retient ici, maintenant qu’elle est partie… |
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Invité
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Posté le: 13 Déc 2004 18:07 Sujet du message: [u]Journal de Craig Carter – 4 décembre 1899- l'Irlande |
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Journal de Craig Carter – 4 décembre 1899- complainte de l’apatride
Je relisais mon journal d’hier quand les vers que m’apprenaient ma défunte mère me sont revenus en mémoire. Il est vrai que, pauvre parmi les pauvres d’Irlande, elle n’a jamais accepté de devoir s’expatrier très jeune hors de son pays pour battre les sentiers humides de Londres comme marchande de fleurs. Avec du recul, elle eut plus de chance que les bataillons de prostituées catholiques qui lui partageaient les pavés, n’ayant trouvé un mari convenable parmi les anglais.
Elle rêvait secrètement en ramassant les journaux dans les rues avant de m’en demander la lecture; elle aspirait à l’indépendance de son île lorsque l’Empire victorien se mettait à vaciller, sous les bravades des Thugggee indiens ou des Boers africains. Elle disait qu’une reine digne de ce nom aurait du se comporter comme une mère prévenante envers ses enfants nécessiteux, sans quoi elle ne représentait plus guère l’autorité morale. Elle résista au « traitement » que lui infligeait mon soldat de père, arborant pour l’occasion sa tunique rouge, pour mettre au pas sa diabolique catholique. Je ne connais de ces racines irlandaises que cette insoumission maternelle, énoncée comme un rébétiko répété sans cesse, reprise en cœur par des millions de patriotes.
La chansonnette lui revint totalement en mémoire :
«Si c’est le Tout Puissant qui a envoyé le mildiou, ce sont bien les Anglais qui ont créé la famine. La soumission de l’Irlande est désormais assurée, jusqu’à ce qu’une quelconque catastrophe mette à bas cette tentaculaire entreprise commerciale qu’est l’Empire britannique; tant que dureront cette haine et cette horreur, tant que notre île refusera de devenir, à l’instar de l’Ecosse, une province satisfaite de son sort, l’Irlande ne sera pas domptée. »
Carter se sentit soudainement désenchanté, songeant aux milliers d’hommes qui comme lui, n’étaient que des demi-sang d’anglais, mais demeuraient conscrits pour la gloire de l’étendard britannique qui pourrait bientôt s’engager de nouveau sur les sentiers de la guerre.
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Invité
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Posté le: 01 Fév 2005 17:38 Sujet du message: |
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Journal de Craig Carter – 4 décembre 1899- coupures de presse
Prospectus glané au cours de ma ballade dans le quartier du Marais.
Le juif est-il un homme ?
Une lettre de M. Jules Soury
A propos de l’entretien que j’ai publié, il y a quelques jours sous ce titre, M. Jules Soury m’adresse une lettre infiniment trop élogieuse, mais vraiment trop belle et trop vaillante pour que je me prive du plaisir de la faire connaître à nos lecteurs :
Ce 1er décembre 1899.
Merci, mon cher confrère, pour l’œuvre d’art que vous avez improvisée sur un thème de votre serviteur. Avec une belle vaillance, vous formulez la question : « le juif est-il un homme ?».
En même temps, votre sens si exercé de la critique historique vous découvrait les conséquences sociales, politiques, juridiques qui sortent, pressées et en manière d’essaim, de cette proposition. A coup sûr, le Juif est un homme : il fait bien partie d’une des espèces du genre humain, de l’Homo Sapiens, comme l’a appelé Linné- par antiphrase, j’imagine.
Entre tous les sémites, le juif, tel que l’ont transformé les siècles, est à l’Aryen ce qu’un ignoble roquet dégénéré, bruyant, effronté, cruel pour des faibles, lâche et rampant sous la menace du fouet, est à un noble lévrier d’Ecosse, à un bien et brave Terre Neuve, à quelque héroïque chien des moines du Mont Saint Bernard.
Il y a naturellement, bien des variétés d’hommes et de chiens dans les diverses races et espèces. Mais, depuis que le dieu Pan est mort et que les vieux Héllènes sont rentrés dans la grande paix du néant, avouons qu’à certaines heures de la Porcherie socialiste contemporaine, souvent on désirerait fort d’avoir pour frères de bons chiens, loyaux et généreux, fidèles jusqu’à la mort, à l’idéal héréditaire de la race.
A vous d’un cœur sincère, Jules SOURY.
On ne sait ce que l’on doit admirer le plus en Jules Soury : la profondeur du savant ou la noblesse de l’homme. Et quel admirable talent d’écrivain il y a en lui ! Je me disais, en recevant cette lettre :
-« Au lieu d’être le savant qui honore son pays et que l’Europe vénère, si Jules Soury avait été un de ces hommes politiques, un de ces officiers, un de ces généraux mêlés de près à l’affaire Dreyfus, que se serait-il passé ?
Et je me répondais à moi-même :
-« Avec un cerveau si net et si parfaitement équilibré, avec ce cœur énergique et martial, les choses n’auraient pas traîné. Les meneurs de l’ « Affaire » tiendraient aujourd’hui compagnie à Dreyfus, non point dans une de ces villégiatures confortables où il se complaît, mais à l’île du Diable ou dans quelque résidence du même ordre ; notre armée, au lieu d’être couverte d’outrages et livrée aux espionnages maçonniques, serait respectée et honorée de tous ; la France, enfin, au lieu d’être sur le bord de l’abîme, serait puissante, sûre d’elle-même et pleine de foi dans l’avenir…
Quel malheur de vivre à une époque et dans un pays où les généraux, dialecticiens et casuistes, ont des allures timides de rats de bibliothèques, tandis que les savants- quelques uns d’entre eux, tout au moins- ont des cœurs de soldats et sont prêts à se battre comme des lions !
Extrait de l’Intransigeant du 11 novembre 1899 : suicide au Palais de Justice
Le Palais de Justice a été, hier, le théâtre d’un drame émouvant que nous allons conter.
Le mois dernier, on arrêtait, dans les magasins du Bon Marché, un rentier, M. Portail, âgé de cinquante-deux ans, et demeurant rue Jules César. Le surveillant Campana prétendait l’avoir surpris suivant des clientes de la maison et commettant des attentats d’une nature particulière. M. Portail protesta énergiquement de son innocence. Comme il était père de famille, qu’il était très connu dans son quartier et avait un passé irréprochable, il fut laissé en liberté provisoire et passa devant la neuvième chambre comme prévenu libre. Il fut condamné à six mois de prison pour outrage aux bonnes mœurs.
Le rentier fit appel, et, hier, il comparaissait devant la chambre des appels correctionnels, il présenta au tribunal un certificat médical qui détruisait absolument une affirmation du seul témoin de l’affaire. Malgré cela, la peine fut réduite à trois mois d’emprisonnement.
Pendant que les juges délibéraient, le prévenu avait dit à son avocat, mr Antony Aubin :
-« Si je suis condamné, je sais ce qu’il me reste à faire. »
L’avocat avait tenté un dernier effort auprès des juges et les avait avertis qu’il craignait qu’une condamnation ne poussât le malheureux à un acte désespéré.
Après le prononcé du jugement, M. Portail demanda au président du tribunal, d’un ton angoissé :
-« M’appliquez-vous la loi de sursis ? »
-« Non », répondit le président.
Quelques instants après, M. Portail sortait un petit flacon de la poche de son pardessus et en avalait le contenu d’un trait. Le flacon contenait quinze centigrammes de sulfhydrate de strychnine.
-« Dans quinze minutes, j’aurai cessé de vivre, s’écria t-il ensuite. Je jure que je suis innocent ! »
Une émotion indescriptible s’empara des témoins de cette scène. Le rentier fut conduit dans le cabinet du docteur Floquet, médecin du Palais.
-« Maintenant, c’est trop tard, dit-l au médecin qui voulait lui donner des soins ; c’est fini, laissez-moi mourir »
Et il refusa d’absorber les médicaments qu’on lui présentait, répétant :
-« Je suis innocent, je suis déshonoré, je ne puis vivre dans la honte au milieu des miens. Pauvre femme ! Chers enfants ! »
Puis se prenant la tête entre ses mains, il s’écria :
-« çà commence, je sens… çà me prend là, derrière la nuque. Je souffre, c’est la fin, la délivrance… Je suis innocent ! »
Et les contractions tétaniformes commencèrent, atroces. L’agonie de l’empoisonné fut horrible. M. Portail expirait quelques minutes plus tard.
Sur le défunt, on a trouvé une lettre adressée à sa femme et dans laquelle M. Portail lui fait part de l’accusation honteuse qui pesait sur lui et qu’elle ignorait, sa première condamnation, son espoir dans ses seconds juges. M. Portail termine sa douloureuse missive par l’affirmation de son innocence. Et il finit ainsi :
-«En apprenant ma condamnation, tu apprendras ma mort ».
M. Duriat, commissaire de police du quartier Saint Germain l’Auxerrois, a prévenu la famille, à laquelle le corps a été rendu dans la soirée. Ce drame a produit au Palais une très grosse émotion et l’on y a vivement discuté le témoignage unique du surveillant Campana.
Note pour plus tard : répondre à la demande de conscription nationale au service des armées de Sa Majesté. |
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